Reconfiguration géopolitique : Le cas du Niger, la fragilisation de la position française et le retrait d'Orano
La crise entre la France et le Niger est symptomatique d’un basculement plus large qui s’opère en Afrique de l’Ouest. L’arrêt de la coopération sur l’uranium, ressource vitale pour la filière nucléaire française, est révélateur des tensions croissantes entre Paris et ses anciens partenaires africains.
Une Dépendance Stratégique Fragilisée
Avec 65 % de son électricité produite par le nucléaire, la France est directement dépendante de l’uranium, dont 20 % des importations proviennent du Niger. Pourtant, la production d’uranium en France a cessé il y a 20 ans, laissant Paris à la merci des soubresauts politiques dans ses zones d’approvisionnement.
Alors que le Kazakhstan domine ce marché, le Niger représentait un partenaire stable et stratégique, jusqu’au coup d’État qui a rebattu les cartes.
La fermeture de l'accès aux ressources nigériennes pousse Orano (ex-Areva) dans une impasse. Près de 1 150 tonnes de concentré d’uranium sont aujourd’hui bloquées dans le désert, une cargaison de 210 millions de dollars que les autorités nigériennes refusent de libérer malgré les tentatives de négociations. L'alternative d’un acheminement par avion a été rejetée par Niamey.
Des Alternatives Risquées
Si des pistes existent en Namibie, en Ouzbékistan ou en Australie, elles ne sont pas sans conséquences géopolitiques. Le recours accru à l’uranium russe (+70 % en Europe depuis la crise au Niger) sape l’objectif de réduire la dépendance énergétique envers Moscou, en pleine guerre en Ukraine.
Un Contexte de Recul Militaire Français en Afrique
Sur le plan militaire, la crise nigérienne survient dans un moment de recul historique de la France en Afrique de l’Ouest :
Fermeture des bases militaires au Mali, au Burkina Faso et bientôt au Sénégal.
Fin de l’accord de défense avec le Tchad, allié clé dans la lutte contre le terrorisme.
Le Niger, pivot stratégique du dispositif français dans la région, suit désormais cette dynamique.
Paris assiste, impuissante, à l’érosion de son influence dans des zones où elle intervenait historiquement sans partage.
Un Niger Moins Dépendant de la France
La donne économique a changé pour le Niger. Grâce à un oléoduc chinois récemment achevé, le pays exporte désormais du pétrole, créant des revenus qui réduisent sa dépendance à l’uranium. Cette autonomie nouvelle donne aux autorités nigériennes une marge de manœuvre diplomatique inédite, facilitant un rapprochement avec la Russie, l’Iran et d’autres puissances émergentes.
La récente visite du Premier ministre nigérien à Téhéran a relancé les spéculations sur un possible accord d’exportation d’uranium vers l’Iran.
Des Répercussions Locales et Globales
Au-delà des grands équilibres, cette crise impacte directement les populations locales. Dans le nord du Niger, des centaines d’emplois sont menacés à Arlit, bastion historique de l’exploitation minière. Mais Niamey semble déterminé à assumer ce bras de fer, voyant dans ce conflit une opportunité de redéfinir les termes de sa souveraineté.
Conclusion : Une Afrique en Mutation, Une France en Quête d’Adaptation
Ce conflit dépasse largement la seule question de l’uranium. Il illustre la recomposition des alliances africaines, marquée par l’affirmation de nouvelles puissances (Russie, Chine, Iran) et par la quête de souveraineté de régimes militaires locaux.
Pour la France, l’heure est à la refonte stratégique. Sans une redéfinition claire de ses priorités et de ses modes de coopération, l’effritement de son influence pourrait s’accélérer, laissant la place à de nouveaux acteurs, moins enclins à respecter l’équilibre géopolitique actuel.