Présence militaire française en Afrique : héritage colonial controversé
La présence militaire française en Afrique remonte à la période post-indépendance, où plusieurs pays africains ont signé des accords perpétuant une coopération militaire étroite avec la France. Ces accords comprenaient l’installation de bases militaires françaises et une assistance en cas de menace contre les régimes en place. Des interventions comme celles au Zaïre entre 1977 et 1978 pour soutenir Mobutu Sese Seko ou encore l’opération « Requin » en 1990 au Gabon pour maintenir Omar Bongo au pouvoir, illustrent comment Paris a utilisé cette coopération pour défendre ses intérêts stratégiques et économiques.
Pendant des décennies, cette influence militaire a permis à la France de soutenir ou de renverser des régimes en fonction de ses priorités, comme en 1979 avec la destitution de Jean-Bedel Bokassa en Centrafrique ou en 1986 avec l’intervention pour sauver le président Eyadema au Togo. Ces interventions, bien qu’encadrées par des accords, étaient perçues par beaucoup comme une forme de tutelle, renforçant le sentiment d’une domination néocoloniale.
Le Sénégal, ancienne capitale de l’Afrique-Occidentale française, illustre cet héritage. Depuis les années 1960, une base militaire française à Dakar symbolisait l’étroite collaboration entre les deux pays. Cependant, cette présence a été progressivement réduite à 350 soldats avant l’annonce récente du retrait total. De son côté, le Tchad, grâce à sa position stratégique au carrefour de l’Afrique du Nord, de l’Ouest et du Centre, a longtemps été un pilier des opérations militaires françaises, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Sahel.
Le retrait des troupes françaises : une suite logique à des dynamiques en mutation ?
L’annonce simultanée du retrait des troupes françaises du Sénégal et du Tchad s’inscrit dans une dynamique de transformations profondes sur le continent africain. Ces décisions reflètent des contextes différents : au Sénégal, ce choix s’aligne sur l’agenda souverainiste et panafricaniste promu par des figures politiques comme Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko. Contrairement au Tchad, le Sénégal ne fait face à aucune menace sécuritaire immédiate nécessitant une présence militaire étrangère.
Au Tchad, en revanche, le retrait est plus complexe. La base de N'Djamena a longtemps été essentielle pour les opérations françaises au Sahel, faisant du pays un acteur clé dans la stratégie régionale de Paris. Ce retrait soulève des interrogations sur la stabilité du Tchad et sa capacité à jouer un rôle similaire sans le soutien direct de la France.
Dans les deux cas, ces décisions reflètent des changements structurels dans les relations franco-africaines. Elles s’inscrivent dans une tendance plus large amorcée par des pays comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger, qui ont exigé le départ des troupes françaises, dénonçant l’inefficacité des interventions et affirmant leur volonté de souveraineté.
Une réorientation stratégique et diplomatique pour l’Afrique et la France
La réduction des bases françaises en Afrique – désormais limitées à trois (Côte d’Ivoire, Gabon et Djibouti) – marque un tournant historique. Ces retraits ne traduisent pas seulement une perte d’influence pour Paris, mais aussi une opportunité pour les pays concernés de diversifier leurs partenariats. La montée en puissance d’acteurs comme la Chine, premier partenaire commercial pour de nombreux États africains, et la Russie, clé dans la coopération militaire, reconfigure le paysage géopolitique africain. Ces nouvelles alliances redéfinissent les priorités stratégiques du continent, éclipsant peu à peu la domination française.
Pour Paris, cette évolution souligne l’urgence de repenser sa politique africaine. Les critiques croissantes sur l’héritage colonial et l’inefficacité de la présence militaire ont fragilisé la relation entre la France et ses partenaires africains. Cependant, ce contexte pourrait être une opportunité pour la France de développer des partenariats véritablement égalitaires, comme l’ont suggéré Bassirou Diomaye Faye et Macky Sall, en s’éloignant des dynamiques héritées du passé.
Perspectives : vers une souveraineté renforcée et des partenariats pluriels
Le retrait des troupes françaises ouvre une nouvelle ère pour le Sénégal et le Tchad. Ces pays peuvent désormais renforcer leurs capacités nationales de défense et développer des collaborations multilatérales avec des partenaires variés. Ce recentrage sur la souveraineté marque une étape cruciale dans le repositionnement stratégique de l’Afrique sur la scène internationale.
Pour la France, il s’agit d’un moment charnière. Le défi sera de démontrer sa capacité à s’adapter à une Afrique en pleine transformation, où les aspirations des populations et des dirigeants poussent vers plus d’autonomie et de dignité dans leurs relations internationales.