Le massacre de Thiaroye au Sénégal : une tragédie invisibilisée

Le massacre de Thiaroye, survenu en 1944, est l’un des événements emblématiques de l’histoire coloniale africaine et sénégalaise en particulier. Il reste largement méconnu et sous-estimé dans les récits de l’époque coloniale sûrement du fait qu’il met en exergue les abus de pouvoir, le racisme et l’injustice de l’administration française envers les soldats sénégalais. À quelques jours de la commémoration des quatre-vingt ans de ce massacre, les Hyperconscients vous propose d’explorer ce pan du passé africain car « l’incompréhension du présent vient facilement de l’ignorance du passé ».

Don de soi et mépris du don : les tirailleurs sénégalais dans l’armée coloniale 

Le terme tirailleurs sénégalais renvoie à un terme générique regroupant des soldats issus du Burkina-Faso, de la Guinée, du Mali, du Sénégal et bien d’autres. Ensemble, ils avaient été recrutés dans les colonies africaines en 1857 pour servir dans l’armée française. Lors de la seconde guerre mondiale, près de 200.000 d’entre eux furent mobilisés pour défendre sous les couleurs de la France. Ils participèrent notamment à la campagne de France de 1940 au sortir de laquelle après la défaite de la « mère patrie », un grand nombre d’entre eux furent capturés par les allemands. En 1944, ils furent également impliqués dans le débarquement de Provence et la libération de plusieurs villes françaises. À mesure que les Alliés prenaient le dessus sur l’Axe et à l’approche de la victoire, ils commencèrent à se faire remplacer sur le terrain dans les soldats métropolitains, processus historique connu sous le nom de « blanchiment des troupes ». 

Leurs services étant désormais jugés inutiles, ils sont renvoyés en Afrique et c’est dans ce contexte que naissent les événements qui vont précéder le massacre de Thiaroye. De retour, naturellement, les tirailleurs attendent durant plusieurs mois les compensations promises pour leurs années de services et de captivité. Les autorités coloniales de leur côté arguant des contraintes budgétaires et bureaucratiques tardent cependant à honorer le contrat, pire, ils se comportent comme s’ils ne voulaient pas payer les tirailleurs. 

Ainsi le 01er décembre 1944, environ 1 280 tirailleurs récemment démobilisés et rassemblés dans le camp militaire de Thiaroye se mettent à exprimer leur colère face au retard dans leur paiement, aux discriminations persistantes et au racisme car leurs collègues blancs ayant déjà rémunérés. Craignant une mutinerie, les troupes françaises ouvrent le feu sur les tirailleurs désarmés au petit matin. De cette opération, 35 hommes perdirent la vie selon les archives officielles (les chiffres officieux font état de plus de 100 morts)  et 34 survivants furent traduits en justice pour rébellion. 

Le massacre de Thiaroye : retour sur une preuve de racisme systémique de la part des autorités coloniales 

Le massacre de Thiaroye illustre de manière tragique le racisme systémique qui marquait l’administration coloniale. Les tirailleurs sénégalais, bien qu’ayant risqué leurs vies pour la France, étaient considérés comme des citoyens de seconde classe. Ils étaient perçus comme des instruments de guerre, non comme des êtres humains dignes de respect. Le refus de verser les indemnités dues et le recours à la violence pour réprimer leur révolte en sont des manifestations claires.

Ce racisme institutionnalisé était également renforcé par l’absence de toute responsabilité réelle après le massacre. Très peu de responsables furent punis pour cette répression sanglante, ce qui renforça l’idée selon laquelle, pour la France de l’époque, la vie des tirailleurs africains n’avait aucune valeur. La minimisation de cet événement, et le silence qui l’entoura pendant des décennies, démontre le peu de considération accordée à la mémoire de ces soldats.

Des décennies plus tard : une invisibilisation délibérée

Si le massacre de Thiaroye est si peu connu aujourd’hui, c’est parce que les autorités françaises se sont arrangées à invisibiliser cet événement. Deux faits majeurs y ont contribué. Dans un premier temps, en considération du contexte de l’après-guerre où  France était en pleine quête du rétablissement de son autorité au sein de la communauté internationale après l’occupation nazie, il lui était impossible de lever le rideau sur cette affaire. Avouer, reconnaître avoir mis fin à la vie des tirailleurs sénégalais qui l’ont aidé à retrouver son territoire aurait terni l’image de la France.  Or, on sait combien de fois l’image est importante dans les relations internationales.

Dans un second temps, l’Afrique, en particulier à l’époque coloniale, avait une tradition orale pour la transmission de son histoire. Sans preuves écrites formelles, il a été difficile de documenter ces événements. L’histoire coloniale, largement écrite par les colonisateurs, ne laissait que peu de place à l’évocation des atrocités commises. Ainsi, ce massacre, comme tant d’autres injustices coloniales, a été effacé des récits historiques dominants.

Conclusion : une tragédie universelle

Le massacre de Thiaroye dépasse les frontières du Sénégal ou de l’Afrique de l’Ouest. Il illustre l’hypocrisie d’un empire qui prêchait liberté, égalité et fraternité tout en perpétuant des violences structurelles contre les populations colonisées. Aujourd’hui, il reste essentiel de continuer à documenter, commémorer et transmettre ces épisodes invisibilisés pour bâtir une histoire véritablement universelle.

Les efforts pour mettre en lumière le massacre de Thiaroye témoignent de la nécessité d’une mémoire coloniale, où les injustices passées servent d’avertissements pour l’avenir. En redonnant une voix aux victimes, on rétablit non seulement une vérité historique, mais aussi une dignité longtemps niée.

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