Le ralliement de Succès Masra à Mahamat Idriss Déby : une issue prévisible
Le 28 janvier 2025, l'ancien opposant Succès Masra a franchi un cap décisif en reconnaissant les résultats des élections législatives et en se déclarant prêt à collaborer avec Mahamat Idriss Déby. Pour beaucoup, cette déclaration marque un tournant aussi inattendu que symbolique. Mais l'était-il vraiment ?
L'histoire politique africaine regorge de figures de l'opposition finissant par embrasser le pouvoir qu'elles ont tant critiqué. Le Tchad ne fait pas exception. Ce revirement n'est pas qu'une anecdote de plus, il illustre un cycle politique répétitif : celui des opposants devenus serviteurs du régime en place. Si certains y voient une manœuvre pragmatique, d’autres y lisent une trahison des idéaux démocratiques promis à la jeunesse tchadienne.
Un engagement marqué par des contradictions
Dès son émergence sur la scène politique, Succès Masra s'est imposé comme une figure de rupture. Fondateur du parti Les Transformateurs, il a incarné une alternative aux élites traditionnelles, promettant un renouveau démocratique et une refonte du système politique tchadien. Mais son parcours, jalonné d'ambiguïtés, rendait son évolution actuelle moins surprenante qu'il n'y paraît.
Avant son exil en 2022, il dénonçait avec virulence l'illégitimité du régime Déby et appelait à une transformation en profondeur des institutions tchadiennes. Pourtant, il n'a jamais totalement coupé les ponts avec le pouvoir. Dès 2021, alors qu’il était empêché de se présenter aux élections présidentielles, il poursuivait une stratégie de dialogue avec les autorités, refusant de se radicaliser malgré la répression. Une posture qui a laissé planer le doute sur sa volonté réelle de rupture.
La première alerte a eu lieu en janvier 2024 lorsqu'il a accepté le poste de Premier ministre d'une transition controversée. Pour ses partisans, c'était une occasion d'influencer les réformes de l'intérieur. Pour ses détracteurs, un reniement. En s'installant dans les arcanes du pouvoir, Masra ne pouvait plus revenir à une posture d'opposant radical sans perdre toute crédibilité. Cette nomination a provoqué des remous au sein même de son parti, où certains cadres historiques ont choisi de prendre leurs distances.
Dès lors, les interrogations se sont multipliées : Masra incarne-t-il encore l’opposition ou a-t-il simplement suivi une trajectoire politique dictée par l’opportunité du moment ? Sa dernière décision de reconnaître les élections et de collaborer avec Mahamat Idriss Déby ne fait que sceller ce qui apparaissait déjà comme une évolution logique.
Une trajectoire prévisible ?
L'observation de son parcours montre que Masra n'a jamais adopté une posture de rejet total du système. Contrairement à d'autres figures de l'opposition, il a toujours laissé une porte entrouverte au dialogue. En 2020 déjà, alors que la répression contre l'opposition s'intensifiait, il tentait encore d'apparaître comme un interlocuteur crédible plutôt qu'un ennemi irréductible du pouvoir. Son ascension s’inscrit ainsi dans une tradition bien connue en Afrique : celle des opposants qui finissent par rallier le pouvoir sous couvert de pragmatisme, mais au prix d’un effacement progressif de leurs idéaux initiaux.
Ce type de basculement politique rappelle d’autres figures tchadiennes comme Saleh Kebzabo, longtemps dans l’opposition avant de finalement intégrer les sphères du pouvoir. La frontière entre opposition et participation gouvernementale reste poreuse, et Masra, en choisissant la cohabitation avec le régime Déby, s'inscrit dans ce schéma récurrent où les figures du changement finissent par être absorbées par l’appareil étatique.
Mais ce revirement pose aussi une question plus large sur la crédibilité de l’opposition en Afrique centrale. Si les figures d’alternative finissent toujours par rejoindre le pouvoir qu’elles dénonçaient, comment espérer une véritable transformation démocratique ? Cette dynamique entretient un sentiment de désillusion chez les citoyens, qui voient se répéter le même scénario à chaque cycle électoral.
Conclusion : une illusion dissipée
Le 28 janvier 2025 marque la fin d'une illusion. Masra n'est plus le symbole d'une alternative au régime Déby, il en est devenu un rouage. Pour ses partisans d'hier, c'est une trahison ; pour le pouvoir, une victoire politique éclatante. Mais pour l’avenir du Tchad, la vraie question reste de savoir s’il pourra encore peser sur l’évolution politique du pays ou s’il se fondra dans l’appareil d'État, devenant un simple exécutant du régime qu’il critiquait autrefois.
L’histoire jugera si son pragmatisme était une stratégie habile pour peser sur le système de l’intérieur ou simplement le signe d’un renoncement définitif à ses ambitions de rupture. Une chose est sûre : pour beaucoup, l’illusion du changement portée par Masra s’est dissipée.