Joseph Kabila de retour : le come-back officiel d’un ancien président ou une stratégie d’influence ?
Le 10 avril 2025, l’ancien président congolais Joseph Kabila a officiellement annoncé son retour en République démocratique du Congo (RDC). Cette déclaration marque un tournant dans la politique nationale et intervient dans un contexte de crise sécuritaire et politique exacerbé. Depuis plusieurs mois, Kabila préparait minutieusement son retour, en multipliant les rencontres stratégiques et en critiquant ouvertement la gouvernance actuelle de Félix Tshisekedi. Cependant, les récents événements ajoutent des dimensions nouvelles à cette annonce.
Un retour minutieusement préparé
Même s’il reste flou sur la date précise de son arrivée à Kinshasa, le retour de Joseph Kabila est une confirmation d’ambitions renouvelées et l'aboutissement d’un processus bien ficelé. Depuis décembre 2024, il multipliait déjà les rencontres en Afrique de l’Est et dans la région des Grands Lacs. Addis-Abeba, Nairobi, Johannesburg : autant de lieux où se sont tenues des discussions stratégiques avec des figures clés de son ancien régime et des alliés de l’opposition. À Nairobi notamment, il a rassemblé une équipe resserrée : Aubin Minaku, Néhémie Mwilanya, Emmanuel Ramazani Shadary, Richard Muyej et Bernabé Kikaya Bin Karubi. À la suite de cette réunion, Minaku a été promu vice-président du PPRD avec une mission claire : restructurer le parti et préparer le terrain pour le retour du chef.
Ce retour s'inscrit également dans une stratégie médiatique bien calculée. En février 2025, Kabila a publié une tribune dans The Sunday Times où il critiquait sévèrement la gestion sécuritaire et économique du régime actuel. Cette tribune marquait sa première prise de parole publique depuis six ans et visait à rappeler son rôle historique dans la stabilisation du pays après les conflits armés des années 2000. Par ailleurs, il a récemment réorganisé son parti en nommant Emmanuel Shadary secrétaire permanent du PPRD pour renforcer sa base politique en vue des échéances électorales.
Une RDC fragilisée : un terreau propice pour son retour
Le moment choisi par Joseph Kabila pour officialiser son retour n’est pas anodin. La République démocratique du Congo traverse une crise sécuritaire et politique majeure. À l’Est, le M23 continue de progresser malgré les efforts militaires et diplomatiques du régime. Les rebelles ont pris le contrôle de deux villes stratégiques, exacerbant les tensions entre Kinshasa et Kigali. À Kinshasa, la gouvernance de Félix Tshisekedi est de plus en plus contestée : mauvaise gestion des ressources, hausse du coût de la vie, corruption persistante. Un rapport publié récemment par Le Congo n’est pas à vendre et le Réseau panafricain de lutte contre la corruption a mis en lumière les limites du régime actuel.
Dans ce contexte de désillusion généralisée, Kabila se présente comme l’alternative : un ancien président au capital d’expérience, à la posture d’homme d’État, et au réseau encore bien implanté dans l’armée et les institutions. Selon ses proches, il souhaite "contribuer à la recherche d’une solution" face à cette déliquescence généralisée.
Une critique directe de Tshisekedi
Dès sa tribune publiée en février dernier dans le Sunday Times, Kabila avait posé les bases de sa ligne politique : une dénonciation frontale de la gestion sécuritaire et une remise en cause de la légitimité de Tshisekedi. Il reproche à ce dernier l’échec des opérations militaires dans l’Est, l’absence de vision stratégique et la politisation de l’armée. Il accuse également le régime d’avoir échoué à construire une véritable union nationale, préférant la division et l’exclusion.
Plus encore, sa déclaration semble répondre à l’attaque lancée par Tshisekedi lors de récentes conférences internationales où ce dernier avait laissé entendre que Kabila pourrait être impliqué dans les violences armées à l’Est. En réponse, Kabila rejette ces accusations tout en dénonçant ce qu’il qualifie d’"autoritarisme croissant" du régime actuel. Il va jusqu’à qualifier les élections présidentielles de décembre 2023 remportées par Tshisekedi comme un "simulacre", accusant le gouvernement d’avoir muselé l’opposition.
Joseph Kabila : candidat ou faiseur de roi ?
Deux trajectoires s’ouvrent désormais pour Joseph Kabila :
Candidature présidentielle directe : La première option serait une candidature aux élections présidentielles prévues pour 2028. Dans ce cas, il pourrait capitaliser sur le mécontentement croissant envers Tshisekedi pour se présenter comme le sauveur d’un État en crise.
Faiseur de roi : La seconde option serait plus subtile. Il pourrait soutenir un proche ou un ancien collaborateur comme Aubin Minaku ou Néhémie Mwilanya tout en tirant les ficelles depuis l’arrière-plan. Cela lui permettrait d’exercer une influence significative sans se réexposer personnellement.
Conclusion : Un retour qui rebat les cartes politiques
L’annonce du retour de Joseph Kabila marque une étape décisive dans la recomposition du paysage politique congolais. Alors que le pays est plongé dans une crise profonde, Kabila se positionne comme une alternative crédible au régime actuel. Cependant, son passé controversé – notamment ses 18 années au pouvoir marquées par des accusations de corruption et d’autoritarisme – risque d’alimenter le scepticisme.
Dans les mois à venir, plusieurs éléments seront déterminants pour comprendre les intentions réelles de l’ancien président :
Sa capacité à mobiliser ses anciens soutiens et à élargir sa base politique.
Son rôle potentiel dans la résolution ou l’aggravation des crises sécuritaires à l’Est.
Les implications régionales et internationales liées à son retour.
Ce come-back ouvre donc une période d’incertitude mais aussi d’espoir pour certains segments de la population congolaise. Reste à voir si ce retour marquera réellement le début d’une nouvelle ère ou s’il ne sera qu’un épisode éphémère dans l’histoire tumultueuse du pays