Faure Gnassingbé médiateur dans le conflict Rwanda/RDC : Une ”dictature” tolérée par la communauté internationale ?
Le dimanche 13 avril 2025, l’Union africaine a officiellement désigné le président togolais Faure Gnassingbé comme médiateur dans la crise opposant la République démocratique du Congo (RDC) au Rwanda. Cette nouvelle mission diplomatique s’ajoute à une série d’autres médiations régionales menées par le chef de l’État togolais au cours des dernières années. Si cette nomination est saluée par certains, elle soulève aussi de nombreuses interrogations concernant les critères de sélection des médiateurs sur la scène africaine.
Une longévité au pouvoir contrastée par un déficit démocratique
Au pouvoir depuis 2005 à la suite du décès de son père Gnassingbé Eyadéma, Faure Gnassingbé cumule aujourd’hui près de vingt ans de présidence sans alternance démocratique. Son maintien au sommet de l’État a été rendu possible par des réformes constitutionnelles controversées notamment le changement constitutionnel de 2024, des scrutins jugés peu crédibles par de nombreuses organisations indépendantes, et une répression régulière des mouvements de contestation comme c’est le cas avec l’emprisonnement depuis 96 jours jeune poète Honoré Sokpor connu sous le nom de Affectio.
Dans ce contexte, sa désignation comme médiateur dans des conflits régionaux suscite de vives réserves. Le profil d’un dirigeant régulièrement critiqué pour son manque d’ouverture démocratique est difficilement compatible avec les exigences de neutralité et de légitimité que requiert la médiation d’un conflit aussi sensible que celui opposant Kinshasa à Kigali.
Un rôle de médiateur de plus en plus récurrent
La nomination de Faure Gnassingbé dans le dossier RDC–Rwanda n’est pas isolée. Le président togolais avait déjà été sollicité pour jouer un rôle d’intermédiaire dans plusieurs crises politiques sur le continent, notamment avec les pays de l’Alliance des Etats du Sahel. Ce positionnement diplomatique, renforcé par une image de chef d’État discret et pragmatique, lui vaut une certaine reconnaissance auprès de ses pairs.
Mais cette récurrence interroge, notamment du point de vue de la cohérence des standards démocratiques promus par l’Union africaine. En choisissant un chef d’État dont la gouvernance nationale reste très éloignée des normes démocratiques, l’organisation continentale prend le risque d’affaiblir la portée symbolique et politique de ses mécanismes de résolution des conflits.
Une crise complexe aux enjeux régionaux majeurs
La mission confiée à Faure Gnassingbé n’est pas sans importance. Le conflit entre la RDC et le Rwanda, exacerbée par les violences dans l’Est congolais et la présence du groupe armé M23, a provoqué d’importants déplacements de populations et contribué à la dégradation des relations diplomatiques entre les deux pays.
La médiation africaine vise à restaurer un dialogue direct entre Kinshasa et Kigali, avec pour objectif de réduire les tensions militaires et d’encourager un cessez-le-feu durable. Dans cette perspective, la personnalité du médiateur est un élément stratégique. Il s’agit de rassurer les deux parties sur l’impartialité et la fiabilité du processus. Or, plusieurs analystes soulignent que la désignation de Faure Gnassingbé, loin de faire consensus, risque d’alimenter le scepticisme, notamment du côté de la société civile congolaise.
Une nomination qui renforce la diplomatie ambiguë de l’Union Africaine
La nomination du président Faure met en évidence une faiblesse structurelle des mécanismes de gouvernance continentale. En désignant comme médiateurs un chef d’État à la légitimité contestée, l’Union africaine prend le risque de normaliser un modèle de diplomatie fermée, peu représentative des aspirations populaires mais surtout laisse penser qu’elle cautionne certaines dictatures quand elle est très critique des pouvoirs militaires.
Dans un contexte où de nombreux citoyens africains appellent à un renouvellement du leadership et à une plus grande transparence institutionnelle, la récurrence des nominations du président Gnassingbé en tant que médiateur suscite frustration et désillusion. Pour une grande partie de la population africaine, ces décisions ne reflètent ni leurs priorités, ni leur vision d’une Afrique fondée sur la participation citoyenne et la bonne gouvernance.
Conclusion : vers une remise en question du leadership diplomatique sur le continent ?
La désignation de Faure Gnassingbé comme médiateur dans la crise entre la RDC et le Rwanda repose la question de la cohérence entre les valeurs affichées par les institutions africaines et les pratiques réelles. Si la recherche de la paix reste un objectif central, elle ne peut se faire durablement au prix d’une légitimation implicite des régimes autoritaires.
La construction d’une paix véritable doit irrémédiablement passer par des médiateurs crédibles, porteurs d’un engagement clair en faveur de la démocratie et des droits humains. Avec des nominations telles que celles de Faure Gnassingbé, la diplomatie africaine risque de s’éloigner encore davantage des citoyens qu’elle est censée représenter.