L’ouverture de deux sièges sans droit de veto à l’ONU pour l’Afrique : une mascarade diplomatique ?
Le 13 septembre, le monde s’est réveillé avec une nouvelle pour le moins surprenante : les Etats-Unis annonçaient de façon solennelle qu’ils apportaient leur soutien à la création de deux sièges permanents pour les pays africains mais sans droit de veto. Une telle déclaration de la part de ceux qui se considèrent comme les gendarmes du monde n’a pas manqué de faire réagir analystes et observateurs de la scène internationale surtout à l’approche de l’Assemblée générale des Nations Unies. Depuis sa création en 1945 après la seconde guerre mondiale, l’Organisation des Nations Unies dont le but est de maintenir la paix et la sécurité dans le monde a toujours restreint son Conseil de sécurité à cinq grandes puissances à savoir les USA, la France, le Royaume-Unie, la Russie et la Chine malgré les plaintes du continent africain non représenté. Cette proposition d’accorder aux pays africains une représentation au Conseil de sécurité surtout dans un contexte où la majorité des jeunes africains aspirent à se départir de toute ingérence étrangère semble alors comme façade derrière laquelle se cache des intérêts stratégiques même si les plus optimistes croient à la thèse d’une avancée du continent dans les affaires diplomatiques.
Deux sièges sans droit de veto : une reconnaissance ou une manœuvre ?
L’attribution de deux sièges au Conseil de sécurité, même sans droit de veto, est perçue par certains comme un premier pas vers une reconnaissance de l’importance croissante de l’Afrique dans les affaires mondiales. En effet, même si ces sièges n'accorderont pas au pays africains une place prépondérante dans la prise de décision, ils leurs permettraient à minima de participer directement aux discussions sur des questions de sécurité mondiale, offrant ainsi une voix collective pour influencer certaines décisions clés.
Cette position reste cependant largement critiquable et relève de l’utopie. Doter l’Afrique de deux sièges sans droit de veto n’apporterait que peu de changements tangibles quand on sait que cela s’apparenterait d’une certaine façon à occuper un poste de membres non permanents. C’est d’ailleurs l’avis de Francis Kpatindé, maître de conférence à Sciences Po Paris pour qui « cela n’aurait aucun intérêt pour les nouveaux membres ». Les décisions cruciales continueraient à être dominées par les membres permanents, qui pourraient toujours imposer leur volonté sur des questions sensibles, notamment en matière de sécurité internationale, de sanctions ou d’intervention militaire.
En réalité, si le Conseil de sécurité a une place aussi importante dans les affaires mondiales c’est parce que les membres permanents en son sein ont un droit de veto. Ce dernier constitue donc tout le socle et toute l’utilité de faire partie de ce groupe restreint. De ce fait, sans ce pouvoir, les représentants africains ne pourraient qu’approuver ou protester, sans avoir la capacité de bloquer des résolutions contraires aux intérêts du continent. Ainsi, cette proposition se présente davantage comme un moyen de calmer les revendications que de venir à bout de la source même du problème : un continent aux ressources naturelles et humaines immenses ne bénéficiant pas de siège au sein de consortium où sont prises les décisions les plus importantes pour l’avenir du monde.
Vers une vraie réforme ou une impasse politique ?
Les différentes crises auxquelles fait face le monde (crise israélo-palestinienne, crise russo-ukrainienne, crise soudanaise, crise en RDC etc) ont montré à suffisance que le système actuel du Conseil de sécurité est incapable de répondre au besoin de l’instant et est donc obsolète. Le monde de 2024 n'étant pas celui de 1945, les paradigmes ont changé et de nouvelles puissances ont émergé notamment en Afrique avec l’Egypte, l’Afrique du Sud, le Maroc, le Nigéria et bien d’autres. De ce fait, la logique voudrait que le continent africain avec ses 54 États membres et ses près d’1,5 milliards d’habitants soit représenté au niveau du Conseil de sécurité. Si théoriquement cette option semble réalisable à coup de génie, la réalité est toute autre.
En effet, du point de vue strictement juridique et administratif, il faut compter plusieurs années pour que cette réforme puisse voir le jour en sachant que tout changement à la charte de l’ONU nécessite le vote des ⅔ des pays rassemblés en Assemblée Générale ainsi que l’approbation de tous les membres du Conseil de sécurité conformément à l’article 108 de la charte. L’autre question cruciale reste celle des pays qui assureront la permanence et des critères sur la base desquels ceux-ci seront choisis. À noter que dépendamment de la taille, du poids économique ou de l’histoire, le Nigéria, le Sénégal, l’Algérie ainsi que d’autres pays peuvent prétendre à ce poste. Une rivalité interne pourrait ainsi réduire à néant toutes les tentatives d’implémentation de cette réforme. Il faut noter que les ambitions semblent déjà se dessiner depuis le début de cette semaine à New York. Les présidents présents au siège des Nations Unies n’ayant pas manqué pour certains d’entre eux à l’instar de ceux du Kenya et de la Mauritanie à remettre la question au centre des débats.
Une fausse victoire ou une opportunité à saisir ?
L’ouverture de deux sièges sans droit de veto pour l’Afrique au Conseil de sécurité de l’ONU représente, à bien des égards, un double discours. D’un côté, elle répond à une demande légitime de représentation, mais de l’autre, elle ne corrige pas l’injustice fondamentale du système actuel. En l’absence de droit de veto, l’Afrique restera marginalisée dans les décisions majeures qui affectent sa sécurité, son développement et son avenir.
Pour que cette initiative soit perçue comme autre chose qu’une mascarade diplomatique, il est impératif que les leaders africains continuent à plaider pour une réforme globale et véritable du Conseil de sécurité, où la représentation ne se limite pas à un geste symbolique, mais inclut le pouvoir de peser réellement sur les décisions mondiales. Dans cette optique, la proposition actuelle pourrait être un premier pas, mais elle doit être suivie de réformes plus profondes pour rétablir un véritable équilibre des pouvoirs.