Un an d’existence de l’Alliance des États du Sahel, quel bilan ?

Le lundi 16 septembre dernier, l’Alliance des États du Sahel (AES) réunissant trois pays d’Afrique de l’Ouest à savoir le Burkina-Faso, le Mali et le Niger, célébrait ses un an d’existence. Cette initiative consécutive à leur sortie de la CEDEAO est la résultante de la volonté de ces pays de s’unir face à la recrudescence des menaces terroristes et à la fragilité sécuritaire croissante dans cette partie du Sahel. En un an, l’AES a su marquer des points auprès des populations africaines qui pour la plupart ont applaudi l’initiative. Cependant, le bilan reste complexe, mêlant succès militaires, difficultés économiques, et incertitudes géopolitiques.


Victoires militaires et renforcement de la sécurité


Sur le plan militaire, les premiers résultats de l'AES sont globalement encourageants. Les armées des trois pays ont mis en place une meilleure coordination dans leurs opérations contre les groupes armés. Selon le Dr Fousseyni Ouattara, membre du Conseil national de la transition au Mali, les forces de défense des trois États ont réussi à reprendre le contrôle de vastes zones autrefois dominées par les groupes terroristes, en particulier dans la région des trois frontières. Cette coopération militaire a permis de remporter des victoires tactiques importantes, notamment en repoussant les djihadistes hors de certaines localités stratégiques.

Le président malien, le Colonel Assimi Goïta, a salué ces progrès, affirmant que les groupes terroristes avaient été "significativement affaiblis". La coopération des états-majors des trois armées a permis une meilleure gestion des opérations conjointes, contribuant ainsi à une relative stabilisation de certaines régions. Toutefois, bien que l'AES ait réussi à renforcer la coordination des opérations militaires, les défis sécuritaires restent considérables.


Persistances des défis sécuritaires


Malgré ces succès, la menace terroriste persiste. L'Institut pour l'économie et la paix (IEP) a rapporté que le Burkina Faso est le pays qui a enregistré le plus grand nombre de victimes du terrorisme en 2023, tandis que le Mali figure en troisième position. Les attaques sporadiques de groupes armés continuent de semer la terreur dans les zones rurales, forçant des milliers de personnes à fuir leurs foyers. En dépit des efforts déployés, les forces armées de l'AES n'ont pas encore réussi à inverser complètement la tendance. Le samedi 24 août 2024 à Barsalogho, le Burkina-Faso aurait d’ailleurs subi l’attaque terroriste la plus meurtrière de son histoire. Plusieurs centaines de civils, réquisitionnés par la junte apour creuser des tranchées censées les protéger, auraient été tués par des djihadistes. Une immense perte en vie humaines qui vient compléter les nombreuses enregistrées depuis le début de la lutte contre le terrorisme au pays d’Ibrahim Traoré. 


Il y a deux jours, c’était au tour du Mali de subir une attaque sans précédent. Le JNIM un groupe lié à Al Qaida revendiquait une attaque contre  l’aéroport militaire et une base d’entraînement de la gendarmerie ayant  entraîné d’ énormes pertes humaines et matérielles, ainsi que la destruction de plusieurs avions de combat.  La CEDEAO et la Commission de l’Union Africaine par l’intermédiaire de Moussa Faki ont d’ailleurs condamné « cet acte de barbarisme » et appelé à «  renforcement de la collaboration stratégique régionale et internationale dans la lutte contre la recrudescence du terrorisme et de  l'extrémisme violent en Afrique ». 


Ces cas d’école démontrent que la strategie mise en œuvre par les États de l’AES pour lutter contre le terrorisme est encore inefficace à bien des égards. Au-delà de la mutualisation des forces, des réformes structurelles profondes apparaissent comme nécessaires pour améliorer la gestion des crises sécuritaires dans la région.


Enjeux géopolitiques et économiques 


L'AES est considérée comme une alternative plus saine à la CEDEAO et se positionne comme une alternative plus souveraine pour nombres de pays de la sous-région. Ce retrait stratégique des pays membres de l’AES de la CEDEAO a été mûri et pensé pour s’affranchir des influences extérieures notamment celles de la France et des Etats-Unis. Désormais, pour ces pays, la coopération devra se faire de façon à ce que toutes les parties puissent en bénéficier. La Russie, la Chine, les Émirats Arabes Unies et bien d’autres pays sont devenus depuis quelques mois déjà les partenaires privilégiés des pays de l’AES. De la fourniture d’armes aux accords de formation ou d’exploration, les affaires semblent évoluer .

La nouvelle configuration géopolitique et diplomatique de ces pays tend cependant à les isoler sur la scène internationale. En effet, les sanctions économiques, la baisse des investissements internationaux et les différends consécutifs avec les entreprises françaises et américaines déjà sur place sont des éléments extérieurs avec lesquels ils doivent conjuguer depuis la création de l’Alliance. À noter que le retrait de la CEDEAO a également mis un coup dur au commerce entre les États de l’AES et les autres pays d'Afrique de l’Ouest accroissant la difficulté de circulation des populations et des marchandises.  Une situation que le Burkina-Faso, le Niger et le Mali se disent prêts à endiguer avec plusieurs projets notamment :  la création d’une monnaie commune, d’une compagnie aérienne partagée et d’un passeport commun. Si ces différentes initiatives ne sont pas encore à l’œuvre,  l’organisation s’est tout de même montrée forte et résilience ce qui nous fait croire à des débuts difficiles pour un lendemain meilleur. 


De belles perspectives d’avenir ? 


Le bilan de la première année d'existence de l'Alliance des États du Sahel apparaît mitigé. 

Si des progrès notables ont été réalisés dans la lutte contre le terrorisme, notamment grâce à une meilleure coordination des forces armées des trois pays membres, de nombreux défis subsistent. La persistance des attaques terroristes, le manque de ressources financières, l'isolement diplomatique et les difficultés à mettre en œuvre des projets économiques concrets soulignent la fragilité de cette alliance. À l'avenir, l'AES  est appelé à renforcer sa coopération militaire et économique, tout en veillant à maintenir un équilibre entre souveraineté nationale et respect des droits humains. Enfin, il faut souligner que le succès de cette alliance dépend également de sa capacité à ne pas se retrouver à la merci d’autres puissances étrangères que celles traditionnelles (France, Etats-Unis) et à s’adapter à l'évolution du contexte sécuritaire et géopolitique, et à répondre aux aspirations des populations locales.


Les prochains mois seront décisifs pour l’avenir de l'AES, qui doit surmonter des obstacles internes et externes pour devenir un acteur incontournable de la stabilité au Sahel.

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