Focus sur les élections présidentielles en Afrique du Nord : mise à l’écart des opposants d’envergure en Algérie et en Tunisie 

L’actualité maghrébine de ces dernières semaines est marquée par les différents rebondissements concernant les élections présidentielles en Algérie et en Tunisie, deux pays frontaliers qui partagent au-delà de la frontière, une histoire commune de lutte contre la colonisation et contre un pouvoir souvent jugé autoritaire.  Les élections présidentielles représentent un élément central de la vie politique dans tout système « démocratique », c’est dans cet ordre d’idée que le  07 septembre 2024 et le 06 octobre 2024 se dérouleront respectivement les élections présidentielles algériennes et tunisiennes. Cependant, depuis le début de la période pré-électorale, plusieurs événements donnent à penser que les régimes en place depuis  pléthore d’années à savoir ceux de Abdelmadjid Tebboune et Kaïs Said cherchent à conserver le pouvoir en écartant les plus grands leaders d’opposition. Une mise à l’écart qui vient soulever la question de l’effectivité de la démocratie, des libertés politiques mais aussi de l’indépendance des institutions. Ce dossier se donne pour objectif d’analyser les dynamiques de pouvoir dans les deux pays afin de comprendre la situation actuelle et d’en tirer les conséquences sur leur vie politique. 

D’Abdelaziz Bouteflika à Abdelmadjid Tebboune, une constante répression de l’opposition 

Après le départ forcé du dictateur Abdelaziz Bouteflika en 2019, de nombreux observateurs avaient espéré un tournant vers une plus grande ouverture politique en Algérie. Cependant, l'élection présidentielle qui a suivi en décembre de la même année et qui a permis la montée au pouvoir Abdelmadjid Tebboune, ancien Premier ministre et ministre a démontré que les dynamiques de pouvoir existantes prenant place par la corruption, l’intimidation et l’utilisation de la justice à des fins personnelles n’avaient pas disparu. Son élection, boycotté par l’opposition et la société civile, est d’ailleurs perçue comme une continuité du régime Bouteflika, malgré ses promesses de réformes.

L’aspect le plus frappant de cette élection a été la marginalisation des opposants d’envergure, les autorités algériennes ayant utilisé une combinaison de répression judiciaire, d’intimidation, et de manœuvres politiques pour empêcher des candidats crédibles d’opposition de participer à la compétition. L’un des cas les plus médiatisés de cette manipulation du système judiciaire à l’époque est celui de Karim Tabbou, l'un des leaders du Hirak. En effet, celui-ci avait été arrêté le 11 septembre 2019 pour « atteinte au moral de l’armée », incarcéré, remis en liberté puis arrêté une deuxième fois le 26 septembre de la même année pour « appel à manifestation ». L’opposant et figure emblématique du Hirak ne participera pas ainsi aux élections présidentielles de 2019. 

À l’approche des élections du 07 septembre prochain, les mêmes tentatives d’intimidation ont été utilisées à l’encontre des opposants algériens. Le samedi 13 juillet dernier, Louisa Hannoune a d’ailleurs annoncé le retrait de sa candidature à l’élection présidentielle. Dans un communiqué, elle a évoqué des "conditions injustes" et un "cadre législatif régressif et antidémocratique". À noter que l’opposante avait également été inculpée et emprisonnée en 2019 pour "complots" contre l'État et l'armée et avait été libérée en février 2020.

Finalement sur les seize prétendants à la magistrature suprême, trois ont été validés par l’Autorité Nationale Indépendante des Élections (ANIE) parmi lesquels le président sortant et deux opposants inconnus du public, une  configuration politique qui laisse croire ou promet déjà la victoire de Abdelmadjid  Tebboune. 

Kaïs Saïed, de la victoire écrasante à l’impopularité grandissante auprès de la population tunisienne 

Élu en 2019 avec une large majorité, Kaïs Saïed s’est présenté comme un outsider politique, promettant de rompre avec l’élite corrompue et d’instaurer une nouvelle ère de transparence et de justice. Cependant, dès 2021, le président en place a commencé à concentrer le pouvoir entre ses mains, en suspendant le Parlement, en limogeant le Premier ministre, et en gouvernant par décret.

Cette concentration du pouvoir s’est accompagnée d’une exclusion croissante des opposants politiques, notamment ceux issus des partis traditionnels comme Ennahdha, le principal parti islamiste modéré du pays. Rached Ghannouchi, le leader d’Ennahdha, a été visé par plusieurs enquêtes judiciaires, et de nombreux membres de son parti ont été emprisonnés ou contraints à l'exil. Début février, Rached Ghannouchi, avait été condamné à trois ans de prison pour financement «étranger» illégal de sa formation. Il avait déjà écopé le 15 mai 2023 d'un an de prison pour «apologie du terrorisme» dans le cadre d'une autre affaire, une peine durcie à 15 mois en appel en octobre dernier. Kaïs Saïed a justifié ces mesures en les présentant comme une lutte contre la corruption et le terrorisme, mais beaucoup y voient une tentative délibérée de neutraliser ses adversaires politiques. 

La société civile et les médias sont également sous pression depuis plusieurs années avec une répression accrue.  L’arrestation de la journaliste et avocate Sonia Dahmani a d’ailleurs fait grand bruit sur la scène internationale. Celle-ci a été incarcérée pour « fausses informations dans le but de porter atteinte à la sécurité publique » dans un contexte où plusieurs autres journalistes, chroniqueurs et membres d’associations sont également interpellés s’appuyant sur le décret-loi n°. 2022-54 relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication, considéré par plusieurs observateurs internationaux comme une liberticide. 

Pour les élections prochaines, le président sortant s’est assuré de ne pas avoir contre lui des opposants d’envergure. L’autorité chargée de l’organisation des élections a en effet annoncé le lundi 2 septembre la liste définitive des candidats à l’élection au nombre de trois parmi lesquels Kaïs Saied. L’un d’eux, l’indépendant Ayachi Zammel a ensuite été interpellé quelques heures plus tard au motif de « falsification de parrainages », un épisode qui laisse présager une élection à deux candidats avec la victoire quasi-certaine du président sortant. 

Conséquences pour la démocratie et la stabilité de l’Algérie et de la Tunisie 

La concentration des pouvoirs dans les mains du régime en place, la mise à l’écart des opposants algériens et tunisiens ainsi que la répression des médias et associations ont déjà des conséquences profondes sur la démocratie mais pourraient également en avoir sur la stabilité politique et sociale de ces pays. En Algérie, le Hirak a montré que de larges segments de la population ne se reconnaissent pas dans les institutions politiques actuelles. Le refus du régime d’engager un véritable dialogue avec l’opposition et la société civile alimente une frustration croissante, qui pourrait se traduire par de nouvelles vagues de protestations.Plusieurs experts de la région prévoient d’ailleurs un faible taux de participation aux élections du 07 septembre car les algériens estiment les résultats connus d’avance. 


En Tunisie, la situation est tout aussi préoccupante. La transition démocratique, autrefois présentée comme un modèle pour la région, est aujourd’hui en péril. La concentration du pouvoir entre les mains de Kaïs Saïed, combinée à l’exclusion des forces politiques traditionnelles, crée un climat de polarisation extrême. Si cette situation perdure, elle risque de provoquer des troubles sociaux et politiques, et de compromettre les acquis démocratiques des dix dernières années. À long terme, la situation dans les deux pays pourraient contribuer à une radicalisation d’une frange de la population qui conduirait inévitablement à des changements anti-constitutionnels comme c’est déjà le cas en Afrique de l’Ouest. 



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