L’Alliance des États du Sahel : Nouvelle Dynamique Régionale

L’alliance des États du Sahel (AES) encore appelée Liptako-Gourma est un pacte de défense conclu entre trois pays d’Afrique de l’Ouest à savoir: le Mali, le Niger et le Burkina Faso le 16 septembre 2023. Cette alliance est née dans un contexte où une intervention militaire de la CEDEAO au Niger, sous leadership du Nigéria, semblait probable. La Charte, composée de 17 articles, établit un cadre pour la défense collective et la coopération entre les trois pays sahéliens. L’analyse attentive de cette charte permet de jauger les enjeux inhérents à la création de l’Alliance des Etats du Sahel ainsi qu’a l’avenir de cette institution. 

L'article 6 de la Charte dispose que toute atteinte à la souveraineté ou à l'intégrité territoriale d'un État membre sera considérée comme une agression contre les autres membres, entraînant un devoir d'assistance et de secours, y compris par l'utilisation de la force militaire si nécessaire. Cette disposition reflète les préoccupations des États membres, composés des trois axes prétoriens du Sahel,  quant à la préservation de leur souveraineté face aux menaces extérieures, notamment l'intervention potentielle de la CEDEAO et les sanctions de la communauté internationale..

L'article 5 souligne l'engagement des parties à prévenir et à gérer les rébellions armées ou autres menaces à la sécurité, ce qui est particulièrement pertinent dans un contexte de crise politique interne au Niger et de lutte contre les mouvements indépendantistes au Mali.

Contre toute attente, le 28  janvier 2024, soit six mois environ après la création de l’alliance, les États parties pnt décidé de quitter la CEDEAO. Cette sortie critiquée et contraire aux statuts de cette dernière vient rebattre les cartes de la géopolitique régionale. Elle marque en effet une évolution significative dans la dynamique géopolitique du Sahel et témoigne de la volonté des États membres de prendre en charge leur propre sécurité, en dehors de la CEDEAO.

L'analyse de la création de l'AES et de sa force militaire conjointe soulève des questions sur l'avenir de la coopération régionale, notamment en ce qui concerne les relations avec la CEDEAO et l'efficacité de l'AES dans la résolution des défis sécuritaires régionaux. La viabilité de cette alliance reste donc sujette à débat, surtout dans un contexte de changements politiques rapides et de tensions géopolitiques dans la région du Sahel. L’AES a t-elle été constituée pour prémunir les trois juntes sahéliennes d’un isolement diplomatique ou émane t-elle d’une réelle volonté sincère d’inverser l’ordre ?


L’avènement de l’AES permet également de s’interroger sur l’efficacité de l’instance intergouvernementale ouest-africaine en terme de lutte contre le terrorisme, d’inclusion monétaire et financière mais surtout sur sa réelle capacité de fedéralisation des États parties autour d’un idéal politique commun comme il était question lors de sa création en 1975.


Pour le Mali, le Niger et le Burkina Faso, la réponse est toute faite. La CEDEAO est désormais incapable de gerer les maux de la sous-région et ses institutions sont obsolètes, gangrenées par l’ingérence étrangère. Leur désolidarisation de l'institution qui a à sa tête le président Tinubu s’inscrit donc dans une dynamique de renouveau.


Elle est la réponse en premier lieu aux sanctions économiques et financières imposées au Mali puis au Niger, à la suite de coups d’État militaires. Sanctions qui  auraient été prises à l’instigation de « puissances étrangères » selon les autorités de l’AES. Elle est ensuite, en second lieu, née de la volonté des trois pays de créer un cadre de coopération militaire afin de lutter contre le terrorisme et l’insécurité au sein de leurs différents territoires, mission à laquelle la CEDEAO aurait lamentablement échoué.


Au demeurant, les raisons évoquées par l’AES soulèvent une pléthore de questions notamment l’efficacité de la présence française et du G5 Sahel dans la région. 

On sait en effet, que dans cette lutte contre le terrorisme qui dure depuis plusieurs années déjà, la France avait mis en œuvre tour à tour l’opération Sabre au Burkina Faso à la fin des années 2000 puis  l’opération Serval en janvier 2013 au Nord du Mali et l’opération Barkhane en Août 2014. En 2020, avec d’autres forces spéciales européennes, c’était au tour de l’unité conjointe Task Force Takuba de prendre le relais.  


Plus de dix ans après la première opération française dans le Sahel, il apparaît que la confiance est désormais rompue entre l’Élysée et les pays de l’AES qui arguent l’incompétence des forces qui étaient présentes sur leurs différents territoires. Pour les autorités maliennes, la présence française dans leur pays est un échec total sans résultats concrets. Au contraire, la situation aurait empiré. Selon un rapport de la Minusma du 30 Août 2021, les agressions contre les civils auraient augmenté de 21% entre avril et juin de l’année malgré leur présence. À la demande des différentes autorités de la transition, les forces spéciales françaises  ont donc quitté les pays membres de l’AES.


Si ces derniers ont finalement décidé de se regrouper au sein d’une même instance et de se départir de plusieurs accords afin d’acter leur indépendance et leur souveraineté, il n’en demeure pas moins que plusieurs défis restent à surmonter pour la nouvelle organisation.


La question de la monnaie commune est celle qui suscite le plus d’intérêt. Quand on sait que sur le marché international, toutes les monnaies sont adossées au dollar, seule devise internationale, la question de la valeur de la future monnaie de l’AES mérite d’être étudiée avec lucidité et pragmatisme. Il faut également s’interroger sur l’opérationnalité de cette union monétaire et avec quelle monnaie commune elle prendra effet en sachant qu’en filigrane, il faut établir des convergences monétaires, installer des institutions et surtout assurer la stabilité monétaire, économique et financière. La problématique de la circulation des biens et des populations est également à aborder quand on sait qu’avec la sortie de la CEDEAO, les peuples de l’AES perdent les privilèges du protocole de la Zone CEDEAO de 1979 garantissant la libre circulation, le droit de résidence et d’établissement. D’autres défis tels que la gestion efficace des ressources en eau notamment et l’élaboration d’une politique commune sont également à prendre en compte.

Il convient cependant de préciser que la viabilité de l’alliance demeure une question en suspens, notamment en ce qui concerne la nature des régimes en place et leur légitimité à long terme. Se pose également la question de savoir si leurs successeurs, au-delà de ces périodes de transition, décideront de maintenir leur adhésion à cette organisation.  Malgré quelques voix discordantes, Ibrahim Traoré, Abdourahmane Thiani et Assimi Goïta ont réussi à mobiliser les jeunes de leurs nations et de toute l’Afrique derrière leur vision pour le continent. En seulement quelques mois, ils ont réalisé des avancées significatives dans leurs pays respectifs avec pour chacun d’entre eux, un ensemble de mesures fortes, gagnant ainsi le respect voire l’admiration de certains dirigeants politiques au-delà de leurs frontières.

En somme, bien que l’AES ait initialement émergé dans le but de contester la CEDEAO, elle pourrait devenir une base plus solide pour une organisation ouest-africaine indépendante et affranchie de l’influence occidentale. Il est possible qu'elle soit amenée à rallier, dans un avenir proche, d’autres pays de la région partageant cet idéal de souveraineté.


Contributeurs:
Gabrielle Poda
Olivia Anagonou

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